Noms et raisons sociales au fil du temps
- Verrerie Richarme frèresRaison SocialePériode : 1830 - env. 1892
Cette dénomination reste présente jusqu'au décès de Pétrus Richarme, même si la raison sociale évolue après 1867.
- Verreries de la Loire et de la Drôme, Richarme frèresRaison SocialePériode : 1863 - 1892
Raison sociale du groupement des verreries d'Égarande, de Valence, d'Assailly-Lorette puis de Vals. Cette dénomination n'est plus employée après le décès de Pétrus Richarme en 1892.
- Société Anonyme des Verreries RicharmeRaison SocialePériode : 1892 - 1929
Nouvelle raison sociale après le décès de Pétrus Richarme, célibataire et sans enfants. L'entreprise était aussi désignée sous la dénomination "P. Richarme et Cie". Le neveu de Pétrus Richarme, Auguste Dériard, devient administrateur délégué de la Société Anonyme, ayant été institué légataire universel par son oncle, mais en nue-propriété.
- Verreries Souchon-Neuvesel, Richarme et Évian RéuniesRaison SocialePériode : 1929 - 1958
C'est le 30 décembre 1929 que devient officielle l'absorption de la "Société Anonyme des Verreries Richarme" par la Société Anonyme "Verrerie Souchon-Neuvesel". La dénomination de l'ensemble devient "Verrerie Souchon-Neuvesel (Verreries Souchon-Neuvesel, Richarme et Évian Réunies)".
Histoire
Un fleuron industriel de Rive-de-Gier
La Verrerie Richarme, située dans le quartier d’Égarande à Rive-de-Gier (Loire), incarne l’âge d’or de l’industrie verrière française au XIXe siècle. Fondée à la fin des années 1820 par les frères Richarme, elle s’est distinguée par ses innovations technologiques, sa production massive de bouteilles, et son rôle clé dans l’économie de la vallée du Gier. Durant la direction de l’emblématique Pétrus Richarme, député et modernisateur, la verrerie a prospéré avant de décliner face à la concurrence et aux mutations industrielles. Cet article retrace son histoire, de sa fondation à sa démolition, en explorant son impact économique, social, et les dynamiques qui ont façonné son destin.
Fondation et essor initial (1828–1860)
La date de fondation de la Verrerie Richarme oscille entre 1826 et 1834 selon les sources. Les écrits de Pierre Pelletier privilégient 1834, mais l’absence de traces concrètes avant 1830 suggère une fondation probable vers 1828, par les frères Michel, Pierre, et Benoît Richarme dans le quartier d’Égarande, entre la montagne et la rue Paluy. Cette période coïncide avec l’essor industriel de Rive-de-Gier, surnommée la « capitale du verre » grâce à ses ressources en charbon et au canal de Givors, facilitant le transport des matières premières (sable) et des produits finis.
Les frères Richarme, issus d’une famille d’artisans (meuniers, menuisiers, forgeurs), ont capitalisé sur cet environnement favorable pour produire initialement des verres à vitres, des bouteilles, et de la « topetterie » (petits flacons). En 1859, la verrerie est recensée parmi les principales usines de Rive-de-Gier, spécialisée dans les verres à vitres, bouteilles, dames-jeannes, bonbonnes, et cylindres, avec des entrepôts à Paris (Boulevard Richard-Lenoir, 64, fermé vers 1900), à Marseille (quai du Canal, 6), à Nantes (Rue d'Alger, 3) et à Toulouse (Rue Bayard, 6). L'emplacement de l'usine était stratégique car au sud passait la voie de chemin de fer P.L.M. dont plusieurs voies pénétraient dans le site, pour amener les matières premières et acheminer les produits finis vers les vignerons et sources d’eau minérale de la Loire, comme Badoit.
Dès les années 1840, les Richarme élargissent leur empreinte par des acquisitions. En 1849, ils intègrent une verrerie à Valence (Drôme). En 1861, en réponse à la création de la Compagnie Générales des Verreries de la Loire et du Rhône en 1853, ils acquièrent également l’ancienne verrerie F. Jaboulay et Cie à Lorette, mise en vente aux enchères après la dissolution de la société, formant ainsi les Verreries de la Loire et de la Drôme, avec des usines à Égarande, Assailly-Lorette, et Valence. Ces expansions consolident leur domination régionale dans le verre creux.
Ci-dessous une facture, datée de 1863, des Verreries de la Loire et de la Drôme. Les trois usines d'Égarande, Assailly-Lorette, et Valence sont mentionnées, ainsi que certains des entrepôts.
L’ère Pétrus Richarme : Modernisation et apogée (1860–1892)
Biographie de Pétrus Richarme
Pétrus Richarme, né le 23 avril 1835 à Rive-de-Gier, est le fils de Michel Richarme, l’un des fondateurs. Élevé dans le milieu industriel d’Égarande, il vit en 1872 avec sa mère, Jeanne Liotard, veuve, dans une grande maison au 15 rue d’Égarande, entouré de verriers, dont de nombreux ouvriers italiens.
Maître de verrerie dès la trentaine, Pétrus se distingue par son ambition et sa vision modernisatrice. Élu député républicain de la Loire de 1876 à 1881, il défend les intérêts industriels de sa région, tout en dirigeant la verrerie familiale.
Sa vie personnelle est marquée par l’absence de descendance. Célibataire, Pétrus connaît une fin de vie difficile, assombrie par des problèmes de santé et des dettes, comme le souligne un article généalogique. Il meurt le 11 novembre 1892 à Rive-de-Gier, léguant la verrerie à son neveu, Auguste Dériard, en nue-propriété. Son engagement politique contraste avec des pratiques controversées, notamment l’emploi illégal d’enfants, documenté en 1886 par 168 contraventions pour travail de nuit de mineurs.
Innovations et apogée
Sous Pétrus Richarme, la Verrerie Richarme atteint son apogée dans les années 1870–1880. En 1876–1877, il reconstruit l’usine d’Égarande, introduisant cinq fours à gaz de coke Siemens, une innovation permettant une fusion continue 24 heures sur 24. Cette technologie, couplée à des procédés automatisés, porte la production à 60 000 bouteilles par jour, équivalent à 10–12 fours traditionnels. L’usine, qualifiée de « merveille d’agencement », devient la plus moderne de son époque en 1894.
En 1883, Pétrus acquiert la verrerie Lanoir, mise aux enchères, centralisant progressivement la production à Égarande. La verrerie fournit des clients majeurs, notamment les sources d’eau minérale de la Loire. Cependant, cette année marque aussi la « guerre des eaux minérales » avec Paul Laurent, qui fonde une verrerie concurrente à Saint-Romain-le-Puy pour approvisionner Badoit, jusque-là cliente de Richarme. En rétorsion, Pétrus Richarme achète la Source Noël, elle-aussi à Saint-Galmier. Après d'âpres négociations, un accord est trouvé entre les deux entreprises. Cette rivalité illustre la compétition féroce pour le marché des eaux minérales, exacerbée par l’essor de marques comme Badoit et Vittel.
Des incidents tragiques ponctuent cette période, comme l’accident mortel d’un enfant de 6 ans en 1879 et un grave accident en 1899, reflétant les conditions de travail dangereuses. Malgré ces défis, la verrerie reste un pilier économique, soutenant l’emploi local et exportant vers des marchés nationaux et méditerranéens.
Grèves et tensions sociales (1891–1895)
Les années 1890 sont marquées par des conflits sociaux majeurs. Une grève éclate le 3 novembre 1891, Pétrus refusant de négocier les salaires, ce qui attise les tensions. La grève la plus significative survient en 1894, sous Auguste Dériard. Débutée le 16 mars, elle dure jusqu’au 20 septembre, avec des violences, dont une agression contre le commissaire en septembre 1894. Dériard fait appel à des ouvriers allemands pour briser la grève, provoquant une rixe le 1er mai 1895.
Cette grève donne naissance à la « Verrerie aux Verriers », une coopérative ouvrière éphémère. Selon Louis de Seilhac, les grévistes, soutenus par MM. Julliard et Micol, rachètent la verrerie Berthelasse de la Société anonyme des Verreries Réunies de la Loire et du Rhône. Dirigée par M. Mille, ancien maître verrier, cette initiative échoue rapidement face à des difficultés financières. La grève révèle les tensions entre ouvriers et direction, exacerbées par des conditions de travail précaires, comme l’emploi illégal d’enfants dénoncé en 1886.
En 1891, un an avant son décès, Pétrus Richarme restructure son entreprise qui prend le nom de Verreries Richarme à Rive-de-Gier et Source Noël à Saint-Galmier, Loire, de raison sociale P. Richarme & Cie. On note l'importance donnée à la Source de Saint-Galmier, reliquat du conflit commercial avec les frères Laurent et Badoit. La production est alors concentrée sur la seule usine d'Égarande, les autres verreries, obsolètes, étant probablement revendues à ce moment-là. Ci-dessous, une action émise à l'occasion de la création de la nouvelle société, le 10 avril 1891. Elle est signée "P. Richarme".
Héritage et absorption par Souchon-Neuvesel (1892–1916)
À la mort de Pétrus en 1892, la verrerie passe donc à Auguste Dériard, neveu de Pétrus et héritier en nue-propriété. Moins innovant que son oncle, Dériard peine à maintenir la compétitivité face à des géants comme les Nouvelles Verreries de Givors et aux revendications ouvrières. En 1916, la Verrerie Richarme est absorbée par Souchon-Neuvesel, son concurrent de Givors alors en pleine expansion, mais elle conserve sa raison sociale. Cette acquisition s’inscrit dans un mouvement de consolidation industrielle, Souchon-Neuvesel devenant majoritaire dans Richarme et récupérant sa participation dans Badoit, après avoir signé des contrats dès 1910 avec des producteurs d’eaux minérales (Évian, Badoit, Vittel, Vals).
Ci-dessous une facture de la Société Anonyme des Verreries Richarme à Rive-de-Gier, qui a succédé à "P. Richarme et Cie" après le décès de son propriétaire, émise en 1896. Les quatre entrepôts existent toujours, mais seule l'usine d'Égarande est encore en activité.
Déclin, fermeture et démolition (1916–1964)
Sous Souchon-Neuvesel, la verrerie continue de fonctionner, mais son importance diminue. En 1919, l’adoption d’équipements semi-automatiques réduit les coûts, mais marginalise les souffleurs traditionnels. La production reste axée sur les bouteilles, notamment pour les eaux minérales, mais la verrerie perd son statut de leader. Le 30 décembre 1929, l'ensemble des actifs est revendu à Souchon-Neuvesel. Le nom Richarme s'efface derrière celui de son acquéreur.
Ci-dessous, l'une des toutes dernières factures émise par la Société Anonyme des Verreries Richarme à Rive-de-Gier, datée du 2 janvier 1930, quelques jours à peine après le rachat complet par Souchon-Neuvesel. La raison sociale subsiste encore, mais le siège social de Rive-de-Gier est remplacé par le "8 et 10 Rue de la Bourse, à Lyon". La société est entièrement absorbée par son concurrent régional direct.
La fermeture définitive intervient en 1958, coïncidant avec la fusion de Souchon-Neuvesel avec Duralex, une verrerie fondée en 1906 par Joseph et Claude Hémain à Couzon, et qui sera intégrée au groupe BSN (futur Danone) en 1966.
Ci-dessous, une facture émise par les Verreries Richarme en décembre 1930. Un large texte a été tamponné sur l'entête, substituant la raison sociale par "Verreries Souchon-Neuvesel".
Le déclin s’explique par plusieurs facteurs : la concurrence des verreries étrangères (belges, américaines), l’obsolescence des infrastructures, et la diversification des matériaux d’emballage (plastique, métal). La crise du charbon, amorcée dès 1880 avec la concurrence de gisements plus jeunes (Nord, Saint-Étienne, Alès), réduit l’avantage compétitif de Rive-de-Gier. Malgré des sursauts après des conflits sociaux comme la grève de 1894, ou l’occupation allemande durant la Seconde Guerre Mondiale, la verrerie ne retrouve pas sa splendeur, Souchon-Neuvesel misant sur des sites plus modernes et prometteurs. L’usine est démolie en 1964, effaçant toute trace physique à Égarande.
Impact et héritage
La Verrerie Richarme a façonné l’identité industrielle de Rive-de-Gier, contribuant à son statut de pôle verrier au XIXe siècle. Les innovations de Pétrus Richarme, notamment les fours Siemens, ont révolutionné la production de verre creux, influençant des clients comme Badoit. Socialement, la verrerie a attiré des ouvriers immigrés (italiens, allemands), tout en révélant les tensions de l’ère industrielle à travers les grèves et les conditions de travail difficiles.
Son histoire illustre les dynamiques de l’industrialisation française : un essor fulgurant grâce à l’innovation, suivi d’un déclin face à la mondialisation et à la consolidation industrielle. La concurrence locale, comme la « guerre des eaux minérales » avec Laurent, et la perte de clients comme Badoit, soulignent les défis des verreries familiales. Aujourd’hui, la mémoire de la Verrerie Richarme perdure dans les archives et les récits locaux, incarnant l’héritage industriel de la vallée du Gier.
Sources
- Pelletier, Pierre. Histoire industrielle de Rive-de-Gier.
- Courrier de Saône-et-Loire, 19 août 1894. Disponible sur RetroNews.
- Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 23 juillet 1861, 10 novembre 1861, 27 septembre 1899. Disponible sur RetroNews.
- De Seilhac, Louis. Les grèves dans l’industrie verrière, 1895.
- Association ARCOMA : www.arcoma.fr
- Wikipédia, « Verreries de Rive-de-Gier ».
- Site généalogique : http://noms.rues.st.etienne.free.fr/rues/richarme-petrus.html
- Blog de Stéphanie Epitalon : https://stephanie-epitalon.over-blog.fr
- Galerie historique de Givors : http://yves.c.free.fr/galerie/category.php?cat=10
Personnalités Clés
Michel Richarme (1783 - 1856)
Pierre dit Pétrus Richarme (1833 - 1892)
Auguste Dériard (1857 - 1924)
Verriers Associés
Pancrace Haour (1827 - 1899)
Jean Claude Haour (1852 - 1892)
Galerie d'Images
Rive-de-Gier - Verrerie Richarme, vue générale (1910)
Rive-de-Gier - Verrerie Richarme
Verrerie Richarme - Un four à bouteilles
Souchon-Neuvesel - Vue de l'usine Richarme de Rive-de-Gier (1934)
Rive-de-Gier - Rue Pétrus-Richarme