Les verreries de Sankt Blasien : une saga de verre dans la Forêt-Noire (XVIIe - XVIIIe siècles)

Dans les vallées verdoyantes de la Forêt-Noire, la petite ville de Sankt Blasien, dominée par son imposante abbaye bénédictine, fut autrefois un centre vibrant de l’artisanat verrier. Au XVIIe et XVIIIe siècles, les verreries de la région, alimentées par les ressources forestières abondantes, produisaient le célèbre "Waldglas", un verre teinté de vert ou de brun utilisé pour les vitres des monastères et les objets du quotidien. Cet article explore en détail trois verreries emblématiques – Blasiwald Schmalzberg Althütte (Neuglashütte), Grünwald bei Kappel (Gündelwangen), et Glashütte Äule – en mettant en lumière leurs fondateurs, leur création, leurs défis, leurs fermetures, leurs emplacements précis, et les rôles des artisans clés, notamment Peter Schmid, Melchior Schmid, Michael Schmid, Johann Georg Sigwart, Leonhardt Sigwart, et Joseph Sigwart. À travers leurs histoires, nous retraçons une saga d’innovation, de résilience, et de luttes face aux contraintes environnementales et sociales.

Les origines : une tradition verrière ancrée dans la Forêt-Noire

L’histoire des verreries de Sankt Blasien commence dès le XIᵉ siècle, lorsque l’abbaye bénédictine, fondée en 983, commence à exploiter les ressources forestières pour soutenir son économie. Les forêts denses de la Forêt-Noire offraient du bois pour le combustible et la potasse, essentielle à la fabrication du verre. Les verreries, établies sous la supervision de l’abbaye, servaient à la fois à valoriser ces ressources et à encourager la colonisation des zones reculées. La production de "Waldglas", caractérisée par sa teinte verdâtre due aux impuretés de fer dans le sable local, répondait à une demande croissante pour des vitres (notamment les "Butzenscheiben", disques de verre bombés) et des objets creux comme des gobelets, bouteilles, et flacons.

Les verreries étaient des entreprises complexes, nécessitant des artisans qualifiés, souvent issus de dynasties de verriers venues de régions comme le Jura suisse ou le Tyrol. Ces artisans, tels que les familles Schmid et Sigwart, apportaient leur expertise et leur résilience, façonnant non seulement le verre, mais aussi l’histoire économique et sociale de la région.

Les verreries : une exploration détaillée

Blasiwald Schmalzberg Althütte (Neuglashütte)

Fondation et Fondateurs

En 1622, Peter Schmid, un anabaptiste suisse exilé, et son frère Wolfgang Schmid signent un contrat avec l’abbaye de Sankt Blasien pour gérer la verrerie de Blasiwald Schmalzberg Althütte, également appelée Neuglashütte. Le nom "Althütte" (vieille hutte) suggère que le site pourrait avoir été une réactivation ou une modernisation d’une verrerie existante, bien que les sources ne confirment pas une relocation directe. Peter, fuyant la persécution religieuse en Suisse, apporta son savoir-faire acquis dans les verreries du Jura, notamment à Schafmatt et La Heutte.

Emplacement

La verrerie était située à Schmalzberg, dans la région de Blasiwald, une vaste zone de peuplement dispersé au sud du lac de Schluchsee, à une altitude de 900 à 1200 mètres (Blasiwald). Blasiwald, aujourd’hui un quartier de la commune de Schluchsee, était historiquement sous l’influence de l’abbaye, qui y voyait une opportunité pour exploiter ses forêts.

Vie et Défis

La Neuglashütte produisait du "Waldglas" pour des vitres et des objets utilitaires, répondant aux besoins des monastères et des foyers locaux. Les conditions de travail étaient rudes : les fours, alimentés jour et nuit, exposaient les artisans à une chaleur intense, et la dépendance au bois entraînait une déforestation rapide. Les contrats de l’abbaye, ou "Bestandsbriefe", régulaient l’accès au bois, mais la consommation massive rendait la production difficile à maintenir. Les tensions religieuses, notamment autour de l’anabaptisme de Peter Schmid, ajoutaient une complexité sociale, bien que l’abbaye ait privilégié ses compétences techniques.

Fermeture

La verrerie ferma ses portes en 1684, probablement en raison de l’épuisement des ressources forestières locales. La déforestation, un problème récurrent dans la Forêt-Noire, rendait le transport du bois de plus en plus coûteux, forçant l’abandon du site.

Vestiges

Peu de traces physiques subsistent aujourd’hui. Les structures des fours ont été démantelées, mais les archives de l’abbaye et les études historiques, comme celles d’Alexander Roth, préservent la mémoire de cette verrerie.

Personnalités Associées

  • Peter Schmid : Fondateur et maître verrier, il dirigea la Neuglashütte dès 1622 avant de rejoindre Grünwald.
  • Wolfgang Schmid : Co-fondateur, il travailla aux côtés de Peter.
  • Melchior Schmid : Frère de Peter, probablement impliqué dans les opérations, bien que moins documenté.

Grünwald bei Kappel (Gündelwangen)

Fondation et Fondateurs

Fondée en 1611 par Thomas Sigwart, Johann Georg Sigwart, et Georg Raspiller, la verrerie de Grünwald bei Kappel était une création ex nihilo, conçue pour répondre à la demande croissante de verre dans la région. Ces artisans, issus de familles de verriers expérimentées, apportèrent une expertise qui fit de Grünwald un centre de production majeur.

Emplacement

Située près de Kappel, une localité proche de Lenzkirch et de Sankt Blasien, la verrerie se trouvait dans une zone forestière propice à la production de verre (Kappel-Grünwald). La région, connue pour ses paysages verdoyants, était stratégiquement choisie pour son accès au bois.

Vie et Défis

Grünwald produisait du "Waldglas" pour des vitres et des objets utilitaires, similaires à ceux de Blasiwald. La verrerie prospéra pendant un siècle, attirant des artisans comme Peter Schmid, qui y termina sa carrière. Cependant, comme pour d’autres sites, la déforestation posa un défi majeur. Les contrats de l’abbaye tentaient de limiter la consommation de bois, mais les besoins massifs des fours rendaient la durabilité difficile. Les artisans travaillaient dans des conditions extrêmes, souvent recourant à l’alcool pour supporter la chaleur et la déshydratation.

Fermeture

La verrerie ferma en 1716, probablement en raison de l’épuisement des ressources forestières ou de changements économiques, comme la concurrence avec des verreries plus modernes. La création de Glashütte Äule la même année suggère une relocation stratégique des activités.

Vestiges

Aucun vestige physique significatif n’est documenté aujourd’hui, mais les archives de l’abbaye et les récits généalogiques, comme ceux de la famille Sigwart, témoignent de son importance.

Personnalités Associées

  • Thomas Sigwart : Co-fondateur, figure clé dans l’établissement de la verrerie.
  • Johann Georg Sigwart : Co-fondateur, membre de la dynastie Sigwart.
  • Georg Raspiller : Co-fondateur, apportant une expertise complémentaire.
  • Peter Schmid : Rejoignit la verrerie plus tard, y travaillant jusqu’à sa mort en 1639.
  • Leonhardt Sigwart : Fils de Joseph, il y travailla entre 1705 et 1706 avant de partir pour Friedrichsthal.

Glashütte Äule

Fondation et Fondateurs

Fondée en 1716 par l’abbaye de Sankt Blasien, Glashütte Äule était une nouvelle création, établie dans une zone encore riche en bois, "der hinderen Aha". Aucun fondateur individuel n’est spécifié, mais la verrerie fut dominée par la famille Sigwart, avec huit des dix places au four leur appartenant en 1768.

Emplacement

Située à Äule, un hameau près du lac de Schluchsee, dans la Forêt-Noire (Äule). La verrerie était stratégiquement placée pour exploiter les dernières forêts intactes sous le contrôle de l’abbaye.

Vie et Défis

Glashütte Äule continua la tradition du "Waldglas", produisant des vitres et des objets utilitaires. Elle bénéficia d’une gestion plus durable des ressources, ce qui lui permit de fonctionner jusqu’en 1878, bien plus longtemps que les autres verreries. Cependant, les défis restaient similaires : la consommation massive de bois et les conditions de travail difficiles. À partir du milieu du XIXᵉ siècle, l’industrialisation transforma l’industrie verrière, avec l’émergence de grandes usines utilisant le charbon, rendant les verreries traditionnelles moins compétitives.

Fermeture

La verrerie ferma en 1878, probablement en raison de l’industrialisation et de l’obsolescence des méthodes traditionnelles. Les grandes usines modernes, avec des fours à charbon et des connexions ferroviaires, supplantèrent les verreries forestières.

Vestiges

Peu de traces physiques subsistent, bien que des expositions, comme celle de 2016 célébrant les 300 ans de Glashütte Äule (300 Jahre Glashütte Äule), aient mis en lumière son histoire. Les archives et les récits locaux préservent son héritage.

Personnalités Associées

  • Joseph Sigwart : Bien qu’il soit décédé en 1696, ses descendants, notamment des membres de la famille Sigwart, dominèrent la verrerie d’Äule.

Les artisans : une dynastie de verriers

Peter Schmid

Né vers 1575–1580 à Gänsbrunnen, dans le canton de Soleure, Peter Schmid fut orphelin jeune et formé comme verrier dans le Jura suisse. Persécuté pour son anabaptisme, il s’installa à Sankt Blasien en 1622, où il fonda la Neuglashütte avec son frère Wolfgang. Son expertise fut si précieuse que l’abbaye catholique passa outre ses convictions religieuses. Il termina sa carrière à Grünwald bei Kappel, où il mourut en 1639.

Melchior Schmid

Frère de Peter, Melchior participa probablement aux activités des verreries de Blasiwald et Grünwald, bien que les sources soient moins détaillées. Une confusion existe avec un petit-fils homonyme, maître verrier à Lobschez, en Suisse.

Michael Schmid

Aucune information n’a été trouvée sur Michael Schmid dans le contexte des verreries de Sankt Blasien.

Johann Georg Sigwart

Co-fondateur de Grünwald bei Kappel en 1611, Johann Georg Sigwart était un membre éminent de la dynastie Sigwart, connue pour son expertise verrière. Son rôle fut crucial dans l’établissement de cette verrerie prospère.

Leonhardt Sigwart

Né en 1685 à Sankt Blasien, fils de Joseph Sigwart, Leonhardt travailla à Grünwald entre 1705 et 1706. Il quitta ensuite la Forêt-Noire pour Friedrichsthal, où il poursuivit sa carrière de verrier.

Joseph Sigwart

Né vers 1652 et décédé en 1696 à Sankt Blasien, Joseph Sigwart était probablement un verrier actif dans la région. Ses descendants, notamment Leonhardt, continuèrent la tradition familiale, avec une forte présence à Glashütte Äule.

Conclusion : un héritage fragile mais durable

Les verreries de Blasiwald Schmalzberg Althütte, Grünwald bei Kappel, et Glashütte Äule incarnent une période d’innovation et de défis dans l’histoire de la Forêt-Noire. Fondées par des artisans talentueux comme Peter Schmid et les Sigwart, elles ont transformé les ressources locales en produits essentiels, tout en luttant contre la déforestation et les tensions sociales. Bien que leurs structures aient disparu, leur histoire, préservée dans les archives et les récits généalogiques, témoigne de la résilience et de l’ingéniosité des verriers de Sankt Blasien.